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« Mougnou ni sabali» : quand une valeur galvaudée devient un obstacle au combat des femmes

« Moungou ni sabali », une belle et sage expression pour la vieille génération afin de sauver un mariage dans notre société mais qui encourage plusieurs formes de violences faites aux femmes. Une adaptation de son utilisation et de son interprétation à la société actuelle s’avère nécessaire.

Mougnou ni sabali : « Être patient, supporter et pardonner » en langue bamanankan est une expression qui inhibe et contribue souvent à empêcher les femmes d’avouer et de dénoncer publiquement les violences qu’elles subissent. Après réflexion, il apparait que l’utilisation de cette expression dans certaines situations est complètement inappropriée et insuffisante dans la résolution de certains conflits entre conjoints.

Dès lors, lutter contre l’emploi abusif ou la mauvaise interprétation de cette expression devrait faire partie des combats à mener contre l’inégalité et les violences à l’égard des femmes et des filles.

« I ka mougnou, ka sabali !» (Tu dois supporter, patienter et pardonner). Cette expression est souvent utilisée dans notre société pour donner des conseils à une personne en détresse. S’il y a un conflit dans un couple qui conduit souvent à des scènes de violence, ou tout simplement une mésentente fréquente entre des personnes, cette phrase tombe irrémédiablement comme un remède pour ramener les protagonistes à la raison. Elle est surtout considérée comme le meilleur conseil qu’on puisse donner à une femme qui subit toutes sortes de violences dans la vie conjugale. On lui fera même savoir que ses enfants ne pourront avoir la baraka (la bénédiction) et réussir dans la vie que lorsqu’elle intériorise ce conseil et s’y conforme.

Une mauvaise interprétation de la nouvelle génération

Certes, cela a parfois aidé à ramener la sérénité et la paix dans certains couples dans la société traditionnelle, en amenant des femmes qui subissaient quotidiennement des violences dans leur vie conjugale à se taire et à prendre leur mal en patience. Mais à quel prix ? Se taire et ne rien dire ne veut pas forcément dire absence de souffrances.

Bassitan Traoré, une vieille dame de 75 ans, qui cumule 50 ans de vie de couple, est un bon exemple. « J’ai supporté pas mal de moments difficiles avec mon mari. Nous avons eu six enfants qui sont aujourd’hui notre fierté », a-t-elle déclaré. Chaque femme doit- elle vraiment souffrir le martyre pour avoir une vie conjugale bien remplie ? Est-ce cela le sens du mariage ? Est-ce cela le bonheur ? Il y a lieu d’en douter.

Madina Sangaré, ne dit pas le contraire dans sa déclaration. « Fille d’un imam, j’ai grandi dans un environnement où j’ai toujours entendu ‘’Tout sauf le divorce, une femme doit toujours supporter et pardonner’’. J’ai toujours tenu compte de cette conception du mariage jusqu’au jour où je me suis retrouvée entre la vie et la mort à l’hôpital. Malgré tout, mon père voulait que je retourne dans mon foyer, mais j’ai refusé. J’ai voulu porter plainte contre mon mari, je me suis entendu dire « Sabali! » (Tu dois pardonner !), car notre société ne verra pas d’un bon œil que tu emprisonnes le père de tes enfants, et tes enfants ne seront pas bénis. Du coup, j’ai laissé tomber cette idée parce que personne ne m’a soutenue. Mais je souffre, car je trouve que ma société ne rend pas justice aux femmes. Le fait de voir cet acte impuni après m’avoir violentée à plusieurs reprises me ronge », confie Madina.

Des garde-fous contre les extrêmes

«Mougnou ni sabali» conduit aussi parfois au sacrifice suprême. Oui, à la mort ! Le cas d’Aminata est assez illustratif. Battue à plusieurs reprises jusqu’au sang par son mari, elle n’a pas eu le courage de se plaindre et de le dénoncer parce que sa seule conseillère qui était sa mère n’arrêtait jamais de lui répéter qu’une femme doit supporter dans la patience et pardonner. Sa fidélité à ce conseil lui coûta la vie. Sa maman vit aujourd’hui avec cela sur la conscience. Ses confidences sonnent encore à mes oreilles comme si c’était hier : « Je me sens coupable de la mort de ma fille, car je lui ai toujours dit que le rôle d’une femme mariée, c’est de supporter et patienter. Voilà que son mari a fini par la tuer ».

On ne peut certes pas dire que la femme était l’égale de l’homme dans la société traditionnelle, mais nos aînés avaient mis des garde-fous pour éviter les extrêmes. La vieille Bassitan Traoré a témoigné que son mari n’avait jamais porté la main sur elle, même si elle avait beaucoup souffert. Pour elle, « “mougnou ni sabali’’ signifie : patienter d’abord pour surmonter les temps durs avec son conjoint, ensuite savoir gérer les moments d’incompréhension et de mauvaise humeur et, enfin, accepter de rester dans les liens du mariage en cas de maladie handicapante du conjoint. Mais cette expression ne donne pas le droit aux hommes d’exercer des violences sur les femmes » a-t-elle expliqué.

Il est par conséquent clair que l’expression a été galvaudée et vidée de son vrai sens par beaucoup d’hommes de notre génération pour la réduire à la violence brute et inhumaine. Ce qui doit être combattu. D’ailleurs, de plus en plus de jeunes femmes prennent déjà conscience de leur situation et n’hésitent pas à dénoncer leurs bourreaux devant les tribunaux pour demander que justice leur soit rendue.

Koumba Coulibaly

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